le futur derrière nous / l’art italien depuis les années 1990 : le contemporain face au passé

Informations

Adresse CNAC de la Villa Arson - 20 avenue Stephen Liégeard, 06100 Nice
Date Du 12/06/2022 au 28/08/2022
Vernissage 11/06/2022 18:00
Avec: Alterazioni Video, Francesco Arena, Massimo Bartolini, Rossella Biscotti, Paolo Cirio, Claire Fontaine, Céline Condorelli, Marie Cool Fabio Balducci, Danilo Correale, Irene Dionisio, Chiara Fumai, Stefano Graziani, Alice Guareschi, Adelita Husni-Bey, Francesco Jodice, Rä di Martino, Stefano Serretta, Stalker, Bert Theis, Luca Vitone
Commissariat : Marco Scotini
Curateur assistant : Arnold Braho

Avec la participation de Uliano Lucas, Alberto Grifi, Giuseppe Chiari et Mario Merz

Ouverture de l’exposition le samedi 11 juin 2022, de 14h à 20h, inauguration à 18h

Quarante ans après Identité italienne, l’importante exposition organisée par Germano Celant au Centre Pompidou à Paris, la Villa Arson se fait le théâtre temporaire – pour le public français et international– de la scène artistique italienne la plus récente : de la génération ayant émergé dans les années 1990 à la génération actuelle. Le caractère commun aux vingt artistes (ou groupes artistiques) exposés ne relève pas d’une appartenance culturelle, ni d’un effet de sédimentation, plus ou moins lente, d’un temps qui se serait développé dans la continuité : il relève plutôt d’une fracture temporelle, d’une rencontre manquée avec l’Histoire, une sorte de traumatisme social et culturel. Cette scène artistique se définit par le désarroi causé par le retrait officiel de la vague révolutionnaire et créative des années 1970 et par la nécessité de laisser émerger (quand il ne s’agit pas de récupérer) ce qui lui a été enlevé depuis les années 1980 par la réaction idéologique et néolibérale.

L’exposition, depuis son titre Le Futur derrière nous, fait explicitement référence à une image peu explorée de la scène artistique italienne contemporaine : une image marquée par un anachronisme, par un écart fondamental qui voit une grande anticipation émancipatrice comme celle exprimée par les luttes sociales des années 1970. Ainsi, le regard que cette exposition met en scène est double et renversé. La fracture temporelle devient l’espace d’un rendez-vous et d’une rencontre avec le passé : un passé qu’aucun des artistes de l’exposition n’a vécu personnellement mais dont ils entendent être les témoins. Réunir sous un même dénominateur ce que trois générations d’artistes ont produit n’est pas tâche facile au vu de la dispersion culturelle dont cette scène a souffert ces dernières années.

L’exposition s’ouvre, et ce n’est pas un hasard, sur une œuvre célèbre de Luca Vitone, Carta Atopica [carte atopique] datant de 1992, qui est une réponse à l’impossibilité constitutive et collective de s’orienter, en accord avec la situation historique et sociale de l’Italie. Sur cette carte, nous pouvons lire les urgences orographiques, les bassins hydrographiques, les irrégularités du terrain, les regroupements urbanisés et les implantations isolées. Ces signes témoignent bien de l’enregistrement de traces, mais de traces muettes, sans possibilité de décodage, de sorte que nous ne pouvons pas dire où nous nous trouvons réellement. Il ne serait pas exagéré d’affirmer que, dans Carta Atopica, l’état de dépaysement (historique et ontologique) qui caractérise non seulement la génération artistique des années 1990 mais aussi les générations suivantes, est révélé dans son intégralité.

La crise du sujet et de la toponymie, enregistrée à l’intérieur de l’exposition, laisse émerger la primauté du contexte qui, seulement dans l’image interdite de l’esprit perturbateur des années 1970, pourra trouver des modèles pluriels et disponibles pour lire et interpréter la contemporanéité. Une situation, donc, d’héritiers sans héritage direct. C’est ainsi que l’on trouve dans les salles d’exposition des thèmes et des repositionnements de figures clés de cette décennie qui ont inauguré de nouveaux modes de penser, de dire et d’être : de la réforme psychiatrique de Franco Basaglia (Stefano Graziani), à Carla Lonzi et sa théorie féministe (Claire Fontaine et Chiara Fumai), du militant anarchiste Giuseppe Pinelli (Francesco Arena) au groupe de libération sexuelle Fuori (Irene Dionisio), de Nanni Balestrini (Danilo Correale et Claire Fontaine) et du Gruppo ’63 (Luca Vitone) au cinéma radical d’Alberto Grifi (Alice Guareschi), au design politique d’Enzo Mari (Celine Condorelli) aux compositions du musicien conceptuel Giuseppe Chiari (Massimo Bartolini), des Autonomi [mouvement d’autonomie ouvrière] (Rossella Biscotti) aux fondateurs du Centro per la sperimentazione e la ricerca teatrale [centre d’expérimentation et de recherche théâtrale] de Pontedera (Rä di Martino). Une section au caractère plus archéologique et dont le titre est Divenire Ex [devenir ex] est mêlée à une autre, Esercizi di esodo [exercices d’exode], plus largement consacrée à des thèmes tels que le refus du travail (Danilo Correale), le passage au travail post-fordiste (Marie Cool Fabio Balducci), la contre-information (Stefano Serretta et Francesco Jodice), la pédagogie non-autoritaire (Adelita Husni-Bey) et bien d’autres encore. Ces deux sections sont suivies d’une autre partie de l’exposition intitulée Vogliamo ancora tutto [nous voulons encore tout] (Alterazioni Video, Bert Theis, Paolo Cirio et Stalker), où, si une récupération a lieu, c’est précisément celle des pratiques dans le domaine de l’urbanisme, de l’écologie et de l’activisme médiatique, parallèlement au mouvement altermondialiste.

L’ensemble de l’exposition, qui suit un développement thématique parallèle à l’émergence – depuis les années 1990 et à l’échelle internationale – de l’Italian Radical Thought, la pensée radicale italienne de Paolo Virno, Giorgio Agamben, Maurizio Lazzarato, Silvia Federici, Antonio Negri, Christian Marazzi et Franco Berardi Bifo, dans sa façon de s’établir, entre les années 1970 et le présent, et dans sa façon de se situer en France, offre l’opportunité de revenir sur les échanges fondamentaux entre les scènes culturelles italienne et française avec, entre autres, Michel Foucault, Gilles Deleuze et Felix Guattari.

Privée d’un répertoire prédéfini d’actes potentiels, la génération des artistes présentés ici est destinée à rechercher de nouvelles coordonnées spatio-temporelles au travers de la production de cartes subjectives et conceptuelles, l’enregistrement d’événements collectifs, les déambulations urbaines, les modélisations spatiales et les revendications contre la nature genrée de l’espace construit. M.S.

Traduction italien-français : Catherine Macchi